La Nouvelle Zélande est un pays fantastique. Pays des mystérieux maoris, cannibales féroces décrits par le capitaine Cook, habitat d’un oiseau sans ailes, et une des terres dont le peuplement humain fut le plus tardif. Mais si l’on parle de la Nouvelle Zélande de nos jours, c’est sans aucun doute pour son équipe de rugby à XV des All Blacks, et pour cette statistique édifiante: depuis leur création, leur taux de victoire est de 77%. Si les All Blacks jouent, ils vont gagner plus des 3/4 du temps.
Et puisque l’on parle de temps, peut-être faut il voir ici un des élément de leur succès. Car prédire la victoire des Blacks est nettement moins incertain que de prédire le temps dans ce pays. Un pays capable de passer de l’été à l’hivers en moins d’une semaine, où on peut essuyer un ouragan le matin quand la météo avait prévu une semaine de beau temps, et une chaleur écrasante l’aprèm une fois l’alerte rouge enclenchée, dormir avec un petit drap une nuit et emmitouflé dans son sac de couchage le lendemain parceque le vent a décidé de souffler dans le mauvais sens. Evidemment, tout ça, quand on travaille en extérieur comme une grande partie des kiwis, ou quand on se passe des ballons sur un terrain, ça forge le caractère, et le caractère, au rugby, c’est important. La preuve: Chabal, Sébastien de son prénom, joueur caractériel s’il en est, est le SEUL joueur a avoir tourné une pub en Nouvelle Zélande où il parle FRANCAIS pour une marque de sport néozélandaise, venue tourner la pub EN FRANCE dans un Go Sport de Chatillon (!!!).
Alors avec mes cheveux longs et ma barbe de vendanges, je me suis dit que j’allais aller tester un le climat, avec deux sorties dans les Kaweka Ranges, à 15 jours d’interval.
Objectif de cette première sortie: passer la nuit à Dominie Bivvy, une micro hut de chasseur perchée à 1400m d’altitude. Seulement 2 places, pas de chauffage, 500 mètres de dénivelés, et monter sur Kaweka J à 1700m d’altitude le lendemain.
Après 10km de gravel road où je manque de raboter le dessous de ma poubelle voiture une dizaine de fois, j’arrive au parking. La météo a prévu grand beau temps, et en plus ce soir, c’est pleine lune. Bonnes conditions en perspectives. Arrivé au parking, effectivement, c’est un beau ciel bleu qui se présente. Quelques voitures de backpackers sont déjà là. Il faut dire que je pars en fin d’après-midi, et la plupart des gens rentrent de leur rando à la journée. Qu’à cela ne tienne, je charge le sac à dos, vérifie sur le panneau d’information les données importantes du coin (faune, flore, carte, info de dernière minute sur une feuille A4 humide…), verifie que les infos de la carte du GPS correspondent à celles de la carte du panneau, et en avant!
Le sentier s’enfonce dans une végétation basse mais assez dense, mais laisse rapidement place à une végétation encore plus basse. Curieux, on se trouve à peine à 1000m d’altitude, doit y avoir une ruse. De manière générale, il s’agit de petits buissons aux feuilles duveteuses ou très petites, aux rameaux tortueux. Le sol est rouge vif, et parcouru de nombreuses traces d’érosions là où la végétation ne le couvre plus. Ca sent le traquenard, mais bon, la hut n’est pas très loin, alors j’avance. Végétation mise à part, il s’agit d’un sentier typique néozélandais: un fléchage qui ne flèche pas en direction du sentier (quand il y a un fléchage), et un tracé type « droit dans la pente » (et ici, la pente, elle est drôlement raide). J’ai emporté une grosse partie de mon matériel photo, avec l’espoir de faire des photos de nuit par ce temps dégagé, ainsi qu’une quantité importante de nourriture pour fêter mon CDD pour les vendanges en France. Bref, le sac ne fait pas loin de 18kg, et sur une pente à presque 45°, c’est un vrai bonheur.
Après avoir bataillé un peu et râlé beaucoup, la pente se calme un peu, et l’altitude de ma montre se rapproche de celle de la hut. Sur le GPS, je me rapproche à priori, par contre, si je suis bien sur le sentier officiel (marqué par des piquets), ce dernier a complètement disparu de la carte, et je navigue au milieu de rien sur le GPS. Mais la hut n’est pas loin, en théorie. Et effectivement, un peu plus haut, un panneau indique la hut -> par là. Je ne vois rien. En fait, elle est caché derrière la touffe d’herbe, tellement elle est petite! Et avec sa couleur orange, elle se camoufle à merveille dans la verdure.
Je suis content d’arriver, car le vent s’est levé. Et les nuages, comme Zorro, sont arrivés. Sans se presser, ils recouvrent la plaine petit à petit, dévorant les champs et les collines de leurs longs doigts blancs.
Dans la hut, il fait plutôt frais, mais grace à sa petite taille, je la réchauffe un peu juste en étant dedans. Elle est bien encrée au sol par des cables, et les rafales qui tambourinent pendant que je prépare mon repas ne la font même pas trembler. Pour les photos, on repassera: entre les nuages et le vent qui doit maintenant dépasser les 80km/h en moyenne, et plus en rafale, pas moyen de faire tenir un trépied sans qu’il ne tremble. Peu importe: dans ma hut, j’avale une crème-mousse au chocolat réhydraté (oui, ça existe), et je m’endors, bercé au son du souffle tourbillonnant.
Le lendemain matin, mâtin quel matin! La Nouvelle Zélande ne faillit pas à sa réputation, et les couleurs du lever de soleil son sublimes.
Un peu frisquet, il y a toujours un peu de vent, mais que c’est beau. Alors, après un monstrueux petit déj, je me mets en marche vers le sommet.
Le sac, débarrassé de son superflu laissé à la hut, est plus agréable à porter. Le sentier n’est pas très différent d’hier: droit dans la pente. La végétation a disparue pour laisser la place à des crêtes déchiquetées, et des ensembles d’herbes hautes et de plantes presque grasses. Bon, c’est pas l’Atacama, mais franchement, c’est pas loin d’être aussi désolé.
Encore plus marrant, le vent, qui est réapparu depuis que je suis arrivé en haut, semble avoir sculpté le sol : les graviers forment des vaguelettes, comme le sable au fond de la mer, sauf que les vaguelettes sont parallèles au sens du vent. Pourtant, le sol est plat!
Etant sur le point culminant du coin, je fais face à un vent à décorner les bœufs à une vue magnifique à 360°. Seule une mer de nuage me sépare de la chaine du Tongariro, et je soupçonne le mont Taranaki de se cacher derrière une volute de vapeur d’eau. J’ancre le trépied dans le sol pour quelques photos, ce qui n’est pas sans me rappeler une lointaine sortie à Taranaki. Après en avoir pris plein les yeux, je redescends récupérer mes affaires à Dominie hut, puis jusqu’au parking, en empruntant un sentier longeant la crête de la ravine opposée à celle que j’ai emprunté la veille, et qui me semblait moins raide. Effectivement, c’est un peu moins raide. Enfin c’est plus une chute libre quoi.
Arrivé en bas, je prends en stop 3 européens qui sont partis deux jours plus tôt depuis l’autre coté de la chaine montagneuse, pour les ramener jusqu’à leur parking. Je manque une nouvelle fois de raboter tout l’échappement, la voiture, lestée de ses quatres marcheurs et de leur matériels respectifs, étant définitivement sur les butées. Et alors que je dépose les randonneurs, je me dis qu’il faudra que je revienne un soir sans lune, histoire de taquiner la voie lactée!
Et deux semaines plus tard, me revoilà donc. En début de semaine, une dépression/ouragan a traversé le pays d’Est en ouest, en commençant vers Hastings et en passant au dessus de Tongariro. En dehors du fait qu’il fait désormais 9°c au matin dans ma chambre, et que des milliers de kiwis sont privés d’électricité dans la région de Tongariro (et qu’un certain frenchy s’est pris un sacré coup de Trafalgar sur son bateau du coté de White Island), la dépression a laissé derrière elle des montagnes enneigées que l’on aperçoit depuis Napier. Et c’est bien dans ces montagnes que se situe Dominie Bivvy. Cette fois, en plus de l aneige, je décide d’augmenter un peu le fun: l’idée est d’aller bivouaquer sous tente au sommet de Kaweka J, pour être aux premières loges sous les étoiles, et au dessus d’éventuels nuages, et de passer la nuit suivante dans une hut un peu plus loin sur la crête
La météo prévoit le vendredi comme étant « dégagé avec quelques nuages, indice de confiance 2/5 ». En gros, ils ont aucune idée de ce qu’il va se passer, mais le lendemain, ça a l’air de se corser. Je donne mon plan de rando à un collègue qui reste au chaud chez lui ce weekend, avec une heure de reprise de contact au delà de laquelle il appelle la cavalerie. Lors de ma précédente rando, j’ai remarqué que le téléphoen fonctionnait jusqu’au sommet de la montagne. J’emporte donc une petite batterie supplémentaire, pour être sûr de pouvoir appeler les secours en cas de problème. J’emporte également une couverture de survie, les habituels vêtements de pluie, et une quantité largement suffisante de nourriture.
La gravel road est couverte par endroit de neige, et par endroit je dois dégager les arbres tombés lors de la tempête; Le temps d’arriver, il fait nuit. Cette fois, le parking est désert. Quelques nuages se promènent au dessus de ma tête, mais les étoiles brillent: ça part plutôt bien! Et pas un brin de vent. Après vérification du matériel, c’est parti. J’opte pour le même sentier avec lequel je suis descendu la dernière fois: il est moins raide et mieux tracé. La neige, qui a commencé à fondre depuis qu’elle est tombée mercredi, a formé des congères qui recouvrent complètement le sentier par endroit. Mais globalement, c’est praticable. Dans la neige, je relève des traces de chevreuils, de possum, et potentiellement d’un oiseau, (kiwi?) mais les traces ne sont pas très bien marquées. Il n’y a pas un son, tout parait étouffé. Au détour d’un lacet, le vent se met à souffler. Et les nuages arrivent.
Bientôt, je rentre dans le nuage. Là, les choses amusantes commencent. D’abord, j’enfile le pantalon kway, l’humidité du nuage combinée au vent mouillant autant que de la pluie. La visibilité tombe à moins de 3 mètres; et le sentier, qui était déjà difficile à suivre de jour et sans neige, devient quasiment impossible à trouver. Heureusement, je dispose du tracé enregistré sur la montre 15 jours plus tôt. J’avance le nez collé à l’écran, me fiant aux caps donnés pour trouver les passages les plus faciles ressemblants au sentier. Après quelques détours, j’arrive à Dominie Bivvy. Je dégage la neige devant la porte, et profite de l’abri pour prendre mon diner. Le vent s’est renforcé, mais je reste motivé: avec un peu de chance, en haut, je serrai au dessus du nuage! Spoiler: ce ne sera pas le cas. Frayant un chemin « tramping style » entre le sentier théorique sur la montre et la réalité du terrain, je fini par arriver au plateau à partir duquel on peut rejoindre les différents sommets de la chaine, et sur lequel j’ai prévu de camper. Mais point de ciel dégagé: le vent est plus fort que jamais, et la visibilité est tombée à 1 mètre. Globalement, je vois mes pieds. Je navigue complètement en aveugle entre les deux traces GPS que j’ai marché la dernière fois. On ne peut pas dire que je suis perdu, mais je suis complètement désorienté. Je me décide donc à chercher un endroit où planter la tente: pas trop proche d’un sommet pour éviter la foudre, parallèle au vent, sur un sol suffisamment drainant pour éviter la marre, et relativement confortable pour mon petit dos douillet. J’identifie une petite plateforme qui correspond à peu prêt aux critères, et j’entreprends le montage de ma tente. Je l’avais déjà montée sous la pluie. Je l’avais déjà montée par grand vent. Je l’avais déjà montée par grand froid. Mais jamais les 3 en même temps, sur un sol plus ou moins meuble. Le bon point, c’est que je ne manque pas de cailloux. Après avoir miséré un peu, la tente tiens debout. Je place quelques pavés sur les piquets, et comme chaque rafale semble mettre à rude épreuve l’ensemble, je rajoute un petit muret en amont de la tente, histoire de casser un peu le vent et éviter l’effet « coup de bélier ». Enfin, après avoir ajouter la couverture de survie au sol pour limiter l’humidité et ajouter un peu d’isolation, je m’enfile dans ma tente pour un repos bien mérité. Dans le doute, je marque un point GPS, desfois que je me perde en allant pisser dans la nuit ^^
Le lendemain matin, on ne peut pas dire que la situation se soit grandement améliorée. Il y a un petit peu moins de vent, mais le soleil ne perce pas à travers les nuages. Je décide d’abandonner l’idée de m’enfoncer un peu plus loin dans les montagnes, et de redescendre pour la nuit suivante à Dominie Bivvy. Un petit détour par le sommet (enfin par l’endroit marqué « sommet » sur le GPS), et je redescends me mettre au chaud.
Le nuage est moins épais, mais je suis toujours dedans.
Et le lendemain matin, les choses n’ont pas changées. Je redescends donc jusqu’au parking en prenant mon temps, en perdant le sentier de temps en temps, ce qui se serait révélé très problématique par moment si j en’avais pas eu un GPS et ma trace des fois précédentes. Malgré tout, j’arrive en entier à la voiture, content d’avoir touché la neige, et d’avoir partagé une « kiwi experience » unique!